Henri Vaugrand

Cela fait maintenant plus de dix ans que les Bougnats de Jack Dupon étrennent et traînent leur rock foldingue et jubilatoire, et toujours pas une ligne dans Clair & Obscur ! Autant vous dire qu’avec la sortie le 21 mars dernier de Empty Full Circulation, leur cinquième album studio, et l’arrivée d’une nouvelle année placée « sous le signe du V » (allusion à notre regretté rédac’ chef, mais aussi à d’autres farceurs un tantinet loufoques et lubriques, ceux du Klub des Loosers), il était temps de laver l’affront et de lever le front du Rock In Opposition. Car c’est bien de cela qu’il s’agit avec Jack Dupon, du RIO, cette musique qui se propose de « faire du rock autrement en s’opposant à l’industrie du disque ». Et vu l’état de l’industrie du disque, le programme devient délicieux et quelque peu crématoire. Autant enfoncer le clou, activer les brûlots, faire feu et fi de tout bois et autres hautbois pour mettre en lumière joyeuse une musique sortant des sentiers battus et des fichiers mp3 abattus !

Avec cet album d’à peine 35 minutes, nous voici revenus au temps des vinyles d’un siècle passé et d’une décennie 70 dépassée dont tout le monde veut néanmoins aujourd’hui se revendiquer, histoire de dire que la musak de John Doe a une authenticité, voire une paternité incestueuse, évitant de se plonger dans le concret des airs proposés de déserts opposés et de trop de desserts posés à la fin de repas mélodiques en définitive insipides… Jack Dupon persiste et signe, marquant l’atonie musicale illusoire d’un anonymat permettant tous les excès, les abcès et les procès. Jack Dupon sont les enfants illégitimes et bâtards des Gong, Frank Zappa, Can, King Crimson et autres et de quelques rares français égarés comme Etron Fou Leloublan ou même Raoul Petite dans leur version la plus corrosive.

Jack Dupon - Band

Empty Full Circulation. Rien que le titre. Vous n’allez pas me dire, on tourne en rond, c’est plein et vide, ça circule, circulez, il n’y a rien à voir ! Jetez-vous sur un tribute band qui n’a rien de mieux à faire que de tenter la copie la plus conforme qui soit d’un groupe illustre surtout pour le cash-flow qu’il a pu, peut ou pourra encore générer. Circulez, on vous dit, Jack Dupon est hors de ces modes démodées que de vieux mods essaient de modeler pour de mous adolescents génétiquement modifiés à l’Audition Définitivement Nulle qui ne font plus la différence entre la copie et l’originale (tiens tiens, ça promet en 2017 !) et qui trouvent si original, justement, de n’avoir rien d’original. C’est comme si les générations se suivaient à rebours, et comme si les vieux cons génitaux et génitifs copiaient justement l’ADN de leurs bambins en n’écoutant plus rien d’inédit, mais juste du congénital (voire du quand j’ai trop bu, comme le disait, bien bourré, Pierre Dac répondant à Francis Blanche). Et si une blanche vaut une demi-noire, nous n’avons plus qu’à distiller le commun, le vulgaire, le trop-entendu, le déjà-fait, la copie conforme…

Sur ces arguties bizarroïdes, il est encore temps de parler de cet Empty Full Circulation. Le quatuor enfonce ici le clou d’un style, d’une patte, d’une marque surtout pas déposée, mais qui commence à être reconnaissable. Une rythmique basse-batterie puissante (ils disent même avoir enfin « mis la grosse caisse en même temps que la basse »), deux guitares épileptiques et quatre chanteurs intervenant dans un sabir mécanique mélangeant allégrement français et anglais. EFC parle de la ville de Randan, près de Vichy (l’instrumental « Six Feet In Randan ») – dont on voit notamment le château à l’abandon sur un magnifique dessin à l’ouverture du digipack – et de la forêt qui l’entoure (« Broken House »), de légendes autour de bêtes monstrueuses (« The King Hedgehog »), d’un aspirant footballeur devenu serial killer (« Burst Balloon »), ou du gentil mais bionique Jeremy (« Flowery Way ») ! Enregistré dans leur studio (Bienvenue au Tibet) et masterisé au Alto-Studio de Lyon, la qualité de la production est indéniable, rendant l’écoute agréable et distincte dans un joyeux bordel sonore bien foutraque estampillé Jack Dupon.

Jack Dupon fait du Jack Dupon (avec ou sans D, avec ou sans T, mais avec une sorte de polio aggravée par un syndrome parkinsonien). Chacun pourra trouver les ingrédients garantis sans OGM dans une longue filiation entre RIO, art rock, progressif, krautrock, zeuhl, et j’en passe. Jack Dupon, c’est plutôt OMG (Oh My God). Alors, sortez de vos venelles battues et empruntez les sentes battantes d’un quartet qui se définit lui-même comme « accidentel (accidenté ?) ».

Henri Vaugrand

 Clair & Obscur – Empty Full Circulation