« République Dominicale », comme pour étendre ce temps libre – le dimanche – en état permanent. Libre autant que possible – c’est à dire avec tout ce que ça exige, une fois défait de la contrainte de l’autre labeur, l’imposé, le prétexte du nécessaire et du moyen de gagner les moyens de l’agrément. Libre mais pas vide, non, certainement pas. « Que chaque jour soit dimanche » comme disent d’autres agités (Sec, du côté de Toulouse, eux) – on n’oubliera pas, tiens, que c’est tiré, ce titre, d’une chanson nommée La Galère… (Quant au zoo, l’enfance passé, il a bien fallu l’admettre, alors qu’alors j’aimais bien ça, les zoos : eh oui, ce n’est rien de mieux qu’une prison pour les bêtes, ce lieu pour nous-autres de promenade et loisirs). Et les corridas sont des tueries, recta, grandeur ou pas du spectacle, sensibilité révulsée ou bien émerveillée, devant ça. Et puis qu’est-ce qu’on apprend à faire, dans les écoles de gladiateurs, ou déambulant aux alentours de Spartes, javeline à la main et cherchant les ilotes… Eh, oui : ça parle encore, cette histoire, de zigouiller dans la nuit. Et pourtant, sur ce disque… Rien ne semble vouloir, loin de là, exalter le sang, le drame, rien ne se tient non-plus en posture vertueuse, hautaine, de dénonciation…
C’est que la musique de Jack Dupon (sans « d » ni « t »… on ne saura donc pas le sens de la moustache), si bavarde semblera-t-elle à certains, n’est pas discursive, pas illustrative d’une théorie consignée en manifestes estampillés, volumes numérotés. Peut-être bien, en revanche, relève-t-elle, façon de le dire, d’une toute spéciale dialectique. Elle discute avec elle-même, avec nous entre temps. Sa portée politique est – comme dit dans l’auto-interview habillement pragmatique et élusive fournie dans le press-kit du livre – « celle que vous lui donnerez ». C’est beaucoup, cette attitude – c’est rare, je trouve, nos temps…
« République Dominicale », mais Jack Dupon n’ont pas chômé, ne chôment pas – et leur musique n’a rien d’un laps à glander, à regarder passer le jour sans emploi. Tout déborde, souvent, au contraire. Tout, tout le monde, est occupé – très, très occupé. C’est très joueur et très tendu. C’est pour la première fois – précisent-ils – une musique écrite pour l’album, directement, jamais rodée, affinée, avant, en concert, comme ils avaient fait pour les disques précédents. Paradoxe ou pas (en regard de la proverbiale « vérité du direct où l’on/qui ne saurait mentir ») : eux disent que par là, la sincérité de ce qu’ils nous donnent à entendre sort plus brute, pas cachée derrière l’apparat des costumes, d’une mise en scène de la présentation, d’un visuel qui la déguiserait. Il n’y a, ici, en guise d’image, que cette étrange maison dessinée par une amie – pas prévue pour orner ça, au départ, qu’ils ont trouvé pourtant évidente, à coller ici.
La musique de Jack Dupon n’est pas une histoire de collages aléatoires – elle est à la place d’une logique toute personnelle, singulière, les formes générées tout aussi pleines et fluides que bizarres, parfois curieusement taiseuses sous la foison, les indices et allusions se multipliant, opaques ou transparents sans doute selon qui écoute, entend telle partie, selon comment tout ça s’articule avant et post-perception. Elle vibre, vibrionne d’une frénésie, parfois, qui la rend un peu inquiétante – les teintes pétantes rendant plus mates les places d’ombres. Elle réjouit, pourtant – tout le temps, tout le long. Elle peut faire qu’on se demande pourquoi on prend plaisir, quel plaisir on prend à se manger d’emblée ces nœuds de questions-dénis-questions (« Bonjour c’est qui/C’est moi/C’est qui ? … Si c’était pas pour ça, c’était à cause de quoi ? »…), ces mots banals, plus loin, à la fin, balancés comme des cris d’alarme ou des mots d’ordre, des avertissements, indications qu’il faut bouger vite. (« Clé à mollette ! », oui… « dans le contexte » ça semble porter tout ça, comme sens – et plus, ou autres). Ces considérations aux conclusions tronquées, bouffées par le bouillonnement des riffs, phrases, effets, rythmes, textures – qui font qu’on ne saura jamais vraiment, finalement, ce qui a bien pu se dire, et entre qui, au dernier festival de djââzz. (Mais est-ce même bien ça, le dernier terme de la proposition ? Mon oreille a-t-elle saisi adéquatement ou pas de travers?). Les cellules se répètent, se multiplient, leurs degrés harmoniques, rythmique et mélodiques, encore, font des fourches, des croisées, des boucles et déparées – saturent et quelques fois épurent, souvent tracent net, les voix qui les énoncent et déroulent (celles chantées, celles des instruments) se traceraient-elles en parallèles ou concordances/divergences/intersections plus ou moins apparentes. C’est étonnamment… Solide. Et déstabilisant – tout à la fois, oui. Fermement assis et follement équilibriste. C’est drôle, volontiers, avec tout ce que peut charrier le rire, encore une fois, de libérateur et pas à la fois pas rassurant dans ce qu’il effleure, prononce, tente de désamorcer pour passer à la suite. Ah, et puis : pas ramenarde, avec ça, je précise, cette musique – volubile, oui, on l’a dit, on le répète, mais pas du tout soucieuse (j’ai l’impression, toujours), de bêtement « nous montrer ce qu’ils peuvent faire », d’un quelconque « on va voir ce qu’on va voir ».
Il faut peut-être raccourcir ça, tiens, plutôt, pour que ça cause de ce qu’ils font : « on va voir ». On fait, on prend (comme ça vient puis à bras le corps), on travaille, encore – au sens pas esclavagiste, je répète, servile du terme ; dans celui qui chercherait, plutôt, à se dé-conformer l’habituelle aliénation. « On va voir » jusqu’où ça peut aller – s’y étant engagé sans rétraction possible. Eh bien : nous y voilà. Et le terrain, là, est je le répète : étonnamment ferme sous la foulée, autant qu’imprévisiblement accidenté, les bruits, volumes, vibrations et reliefs qui en jaillissent tout en mouvement même quand ça jaillit en roc en pleine voie. Étonnante contrée d’écarts, oui – et de plein-dedans, une fois qu’on s’y hasarde. Espace-temps changé mais pas suspendu, au vrai – déformé mais jamais informe, et puis faisant douter que « la normale », au fond, soit la plupart des fois autre chose que simplement étriquée, que ses horizons soit autre chose que des bords d’œillères… « Pas mal pour un dimanche » (et pour un disque sorti un premier mai, jour du muguet, fête/trêve, brève, du travail) ? Mieux que ça, bien mieux ! Pas la question, puisqu’on n’y reste pas, une fois qu’on se l’est posée… Puis bien moins déprimant, plus tonifiant, comme perspective, que rectitude bien rangée des étagères où s’alignent tous les semainiers.
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